Ta naissance était si attendue, tes parents étaient si impatients d'accueillir leur deuxième fille, leur deuxième princesse. Ils avaient acheté une autre maison plus grande, ton repeint la chambre la plus grande en violet, avaient garni ton lit avec des tonnes de peluches, mais quand tu es née, sans aucune raison, la vague d'excitation et de joie s'est retirée au loin et n'est jamais revenue. Un océan d'amertume s'est créé et s'est mis à couler dans le corps imposant de ton père, tu n'étais pas une enfant comme les autres, c'est ce qu'il disait. Tu ne pleurais, ne criais pas, avec toi le calme était absolu, assourdissant. Tu ne riais pas ou peu, la parole t'es venue très tard et tu n'as marché qu'à l'âge de deux ans, mais ta mère t'a toujours trouvé exceptionnel, enfin, c'est ce qu'elle disait, mais pas ce qu'elle pensait. Les paroles sont comme des particules de poussière, elles restent en suspend dans les airs quelque temps puis elles disparaissent et d'autres viennent.

Vite après ta naissance, un autre bébé fut mis en route, pour en quelque sorte remplacer l'être mystérieux et anormal que tu étais et que tu es. Ta sœur était en âge de comprendre un peu ce qui se dérouler autour d'elle, d'avoir ses propres opinions, de faire des caprices quand quelque chose ne lui plaisait pas et quand ils ont prononcé le mot petit-frère, elle s'est mise dans une colère monstre. Tu n'avais rien à voir là-dedans, tu n'étais pas la raison de cette colère, enfin pas entièrement. Elle disait qu'une sœur s'était déjà bien suffisant et qu'elle ne voulait pas avoir un petit-frère qui soit comme toi. Mais quand Ryan est venu au monde, elle s'est vite accrochée à lui et toi, tu as été laissée de côté, comme les anciens jouets qu'on ne veut plus.

Quand Ryan fit ses nuits, tes parents t'ont changé de chambre pour la lui donner et toi, tu as hérité du débarras entièrement nettoyé et largement plus petit que ton ancienne chambre. Tu avais trois ans et tu ne parlais qu'avec Gemma, la fille de la voisine, sans elle, le mutisme aurait colonisé ton corps. Gemma était la gentillesse incarnée, la soeur Thérésa et surtout, elle était ton ami. Elle était dans la même école maternelle que toi et elle t'a suivi dans les autres écoles aussi, elle t'était fidèle, mais pas toi. Vous avez déménagé à Sunset Dream pour le travail de ton père, tu as beaucoup pleuré, tellement qu'une bassine entière pouvait être remplie. Ils n'avaient pas demandé ton avis.

À dix ans, sous ton regard médusé, ton père a chassé ta mère de la maison, elle l'avait trompé et pour lui, cette action était impardonnable. Alors, tu ne l'as plus revu jusqu'à tes quatorze ans. Ta tante disait qu'elle avait fini par sombrer dans l'alcool ou dans la drogue, elle n'en était pas sûre et qu'elle vivait à la rue, mais ta tante, s'était une menteuse comme tous les autres membres ta famille. Famille que tu ne connais pas entièrement. Tes grands-parents paternels se sont fâchés avec ton père, ils lui reprochaient ton éducation désastreuse, ta mise à l'écart et ton père n'a pas supporté que le projecteur soit essentiellement sur toi, il a coupé les ponts. Ton oncle, tu ne l'as pas connu, il était mort dans un accident de voiture bien avant que tu ne viennes au monde. Ton père a annoncé son mariage le jour de ton anniversaire, avec une femme de quinze ans sa cadette qui était déjà mère de deux garçons, des jumeaux. Ta sœur n'a pas supporté ça et elle s'est enfuie. Tu avais treize ans.

C'est elle qui est venue à toi, à la sortie des cours pour te ramener avec elle, tu as accepté. Tu préférais vivre dans le mensonge que dans l'ignorance. Et quand tu es rentrée dans l'appartement de ta sœur, tu l'as retrouvé dans ses bras à lui, dans les bras du futur père de ta fille. Rock de la tête au pied, extrêmement charismatique, bad-boy sur les bords, tu as craqué. Ton entrée au lycée a été un changement radical pour toi. Pour la première fois depuis longtemps, tu t'étais fait des amis et des bons, du moins c'est ce que tu pensais. Ta mère ne faisait pas encore vraiment attention à toi et si elle l'avait vraiment fait, Ela ne serait pas là aujourd'hui. Oh, ta chair, ton sang, ta princesse, elle n'était pas voulue. Il était ton premier amour, ton premier baiser, ta première fois, même s'il avait dix ans de plus que toi, tu étais attachée à lui, mais vraiment. Et avec ta sœur, il a déménagé à Chicago, du moins c'est ce que tu penses et il n'est jamais réapparu, même pas pour voir la petite.

Tu lui en veux encore aujourd'hui, mais tu as pratiquement tourné la page, maintenant il y a lui. Tu étais et tu es attirée par lui, mais tu étais timide et tu n'as pas vraiment eu le courage d'aller le voir. Et puis, une collision dans un couloir a changé la donne. Au milieu des quelques cahiers, au milieu des élèves, vous avez parlé. Son histoire était aussi touchante que la tienne, même largement plus et tu taisais, tu l'écoutais. Tu lui as parlé d'Ela, tu l'as embrassé dans un couloir et la proviseure vous a surpris, tu as fait tant de choses qui ont changés ta vie.


                 Seize ans, tu n'as que seize ans et pourtant...