Emily est née dans une famille plutôt normale, dont la seule particularité se révélait être son nombre. Six enfants, et en plus, uniquement des filles. La jeune femme se souvenait encore des dimanche, quand ils prenaient tous ensemble le petit-déjeuné et quand chacun mettait la main à la pâte. Les quantités astronomiques de nourriture, l'odeur de bacon, tout était gravé dans sa mémoire. Peut-être parce que ces dimanche-là représentaient les seuls moments où la famille était unie, contrairement à ce que l'on peut penser d'une famille aussi nombreuse. En fait, c'était comme s'ils vivaient chacun de leur côté, réservés. Il y avait toujours eu une certaine distance, malgré l'amour sincère, au sein de la petite tribu, rarement des conflits comme ailleurs. Une distance qu'aujourd'hui Emily regrette beaucoup, et ne comprend plus vraiment, mais sans doute impossible à combler, cela se résumait à une carte à Noël et à de rares visites.

Chère Reagan,
Aujourd'hui, nous sommes le vingt-cinq décembre. J'ai reçu beaucoup de cadeaux, pour ça, je n'ai pas à me plaindre. Mais l'atmosphère de Noël a presque réussi à me rendre triste. C'est idiot, tu vas dire, mais tous mes amis me parlent de leurs grandes fêtes en famille. Nous, c'est pas tout à fait ça. Pour preuve, mon père est en voyage d'affaires, je ne sais pas où. Et plusieurs de mes soeurs manquent à l'appel également. Ça n'a pas toujours été comme ça, mais comme je suis la plus jeune, c'est parfois difficile de nouer des liens avec mes soeurs. Forcément, elles sont bien plus âgées, elles ont une vie, alors ça fait de nous quasiment des étrangères. Je te laisse, quelqu'un arrive.
(extrait du journal d'Emily)


Impossible pour Emily de se rappeler exactement quand elle a su, pour son orientation sexuelle. En réalité, ça avait sûrement toujours été comme ça, sans déclic. Dans le fond, peu importait. Emily savait que ça ne poserait pas de problème à ses parents, puisque sa marraine elle-même était en couple avec une femme, à cette époque. Ça l'avait rassurée, et empêcher à bon nombre de complexes de naître, parce que si son entourage le plus proche était ouvert d'esprit, dans sa ville, dans son lycée, ça n'a pas été toujours le cas. Mais Emily n'en a pas trop souffert, entre l'homophobie et le racisme, elle avait appris à passer outre, à rester calme et forte. A ne pas céder à la colère ou à ses détracteurs, pour ne pas leur donner le plaisir de la voir atteinte. Emily a pu ainsi devenir quelqu'un de fier, qui ne se laisse pas faire et surtout, qui est intransigeante au sujet de la tolérance.

Chère Reagan,
Je t'ai déjà parlé de Constance, je crois. Evidemment, que je t'en ai parlé, je n'arrête pas d'embêter tout le monde avec elle. Je n'ai plus que son prénom à la bouche, et rien qu'à l'écrire, mon sourire atteint presque mes oreilles. C'est fou, non ? Jamais je n'avais rencontré encore quelqu'un comme elle. En fait, on aurait pu devenir amies bien plus tôt, bizarrement il a fallu une fête minable où presque plus personne n'était sobre. On a beaucoup discuté, j'ai l'impression de la connaître depuis toujours, tellement on s'entend bien. On est amies. Très amies. Et n'importe qui en me lisant, en m'écoutant, en me voyant peut dire que ce que je ressens pour elle dépasse l'amitié. Honnêtement, je ne sais pas ce qu'il en est de son côté. Alors j'espère. J'essaierai de prendre mon courage à deux mains.   

Emily n'eut même pas à trouver ce courage, puisqu'un jour, elle trouva Constance à sa porte, après une dispute avec son père. Celui-ci, justement faisait partie de ces gens "pas aussi ouverts" qui peuplaient la ville. Alors tout naturellement, la brune lui proposa de rester chez elle un moment. Parce que même à cet âge-là, Emily ne pouvait se résoudre à la laisser tomber. Elle devint rapidement la confidente, celle qui écoute patiemment et qui réconforte. Et environ deux semaines plus tard, elle sut qu'elle avait bien agi. Constance fit le premier pas, et à partir de là, tout se changea en rêve.

Chère Reagan,
Je ne t'ai pas écrit depuis un moment, et j'en suis désolée : je n'arrive plus à tenir un journal. Pourtant, ces derniers temps, comme Constance est à l'académie de police, on ne se voit plus que le week-end, alors forcément, elle me manque terriblement. Je ne m'habituerai probablement pas à la distance, mais pour elle, pour mon amour, je prends mon mal en patience, ce n'est que temporaire.

Par la suite, tout s'enchaîna très vite, entre les deux jeunes femmes, et ce à leur plus grand plaisir. Premier appartement ensemble, projets pleins la tête. Puis, vint la question des enfants. Dans la tête d'Emily, tout était clair : elle en voulait. Mais pas dans l'immédiat. L'occasion se présenta plus tard, avec Joshua. Constance l'avait rencontré auparavant durant une enquête et, l'histoire du jeune garçon l'avait beaucoup touchée. Quand elle le regardait, Emily voulait le protéger, le serrer contre elle afin de le préserver du monde entier, de panser ses blessures. Ce qui devait être une nuit devint une adoption. Les deux femmes finirent par se marier, lors d'une belle cérémonie. Impossible pour Emily d'oublier le jour de Noël, et toutes ces émotions, lorsque Joshua les désigna enfin comme ses mamans.

A présent, la vie semble tranquille, et tout va pour le mieux, le couple pense même à avoir un bébé. Tout n'est pas tout rose, bien sûr, il y a toujours des ombres au tableau. Pour l'instant, Emily ne les voit pas.