Une lettre, plusieurs phrases, des adieux, aucune explication. C'est ainsi qu'elle me quitta sans donner d'informations ni sur sa destination, ni sur les raisons qui la poussaient à me quitter. Ce n'était pas la première fois qu'elle me faisait ça, sauf que cette fois-ci il y avait notre fils et ce mariage, notre mariage. Cinq ans déjà, aucun signe de vie.

Cher Gil,
je t'aimerai toujours. Je ne t'oublierai jamais. J'espère que tu sauras me pardonner. Je ne veux pas de ce mariage. Je ne veux pas de cette vie. Je t'aime, je vous aime tous les deux. Pardonnez moi.




Elle s'appelait Moïra, elle était belle, intelligente et elle avait cette esprit libre, indomptable. Son regard puis son sourire, sa façon de s'exprimer, de se mouvoir. Tout m'a séduit chez elle et sans que je m'en rende compte j'étais hypnotisé. J'avais quinze ans lorsque je l'ai rencontré, pourtant quand je ferme les yeux je peux me rappeler très distinctement...

J'étais assis au milieu de la classe et je discutais avec un ami lorsque le professeur est entré. Il avait ce sourire au visage, celui qui annonçait quelque chose de plaisant ou au contraire, de déplaisant. On s'attendait tous à ce qu'il nous dise qu'il y avait une interrogation surprise mais non. C'était une bonne nouvelle, la meilleure qui soit pour le jeune adolescent que j'étais : une nouvelle élève. La classe était toute excitée : à quoi ressemblait elle ? Qui était-elle ? D'où venait-elle ? Pourquoi arrivait-elle en cours d'année ? Les questions fusaient, les hypothèses suivaient et les réponses se faisaient attendre. Le professeur tenta de ramener le silence, mais ce fut l'apparition dans l'encadrement de la porte qui fit taire tous les élèves, moi compris. Essayez d'imaginer une sublime sirène au milieu d'une mare de crapauds ! Qui ne voulait pas recevoir le baiser qui le transformerait en prince ? C'est d'ailleurs comme ça que j'ai ouvert le dialogue avec elle, une tentative idiote :
- Salut toi, dit moi tu connais l'histoire de la princesse et de la grenouille ?
- ...oui, pourquoi ?
- Coââ-coââ Coa, Croa Croa.

Elle ne m'a pas donné le baiser magique mais au moins elle a ris et son rire était magnifique. J'ai pu discuter avec elle, petit à petit devenir son confident. J'ai beaucoup souffert durant cette période là. Elle sortait avec un garçon et cessait de m'adresser la parole. Puis elle le quittait et revenait vers moi. Je ne sortais pas avec elle, non, elle me voyait comme une sorte d'ami. Mais on ne pouvait pas non plus voir notre relation comme de l'amitié. C'était particulier, étrange, incompréhensible. Elle pouvait me parler et l'heure d'après me fuir. Elle me souriait puis me boudait. Elle m'embrassait puis me giflait. Elle me rendait folle et pourtant j'étais incapable de lui en vouloir, de la repousser. J'étais fou amoureux, complètement stupide. Je crois que même aujourd'hui, si elle revenait, je serais prêt à la reprendre.

Deux ans, six mois, trois semaines et deux jours qu'on se côtoyait. Le premier tournant à notre relation. On allait bientôt entrer à la fac, on était presque adultes. Je voulais que notre relation évolue, je voulais plus qu'être ce que j'étais pour elle. Mais comme d'habitude c'est elle qui a prise l'initiative. J'avais parfois l'impression qu'elle lisait dans mes pensées. Elle savait toujours tout de moi, que ce soit mes soucis, mes désirs ou mes joies. Et cette après-midi là quand je l'ai rejoint chez elle, dans sa chambre... nous l'avons fait. Elle ne m'a pas laissé le temps d'ouvrir les lèvres qu'elle m'embrassait déjà. Son baiser aussi doux que brutal m'avait coupé aussi bien le souffle que ma réflexion. Après ça elle déclarait que nous sortions ensemble. J'avais enfin ce que je désirais, mais je ne voyais pas réellement de changements à notre ancienne relation. Elle était toujours aussi étrange, elle, son comportement, ses sourires énigmatiques et son regard mystérieux. Les quelques mois qui firent suite furent riches en rebondissements : elle me quittait, puis revenait vers moi. Toujours avec une lettre, elle n'aimait pas rompre en face ni par téléphone. Elle me trompait puis revenait. J'étais faible, aveugle, un véritable idiot. Je la laissais faire, incapable de m'imposer. C'est quand j'ai eu dix-huit ans que ma vie a basculé. J'avais pris de nouvelles résolutions et je lui ai clairement dit que c'était terminé. Il m'en aura fallu du courage. Trois mois sans la voir, sans lui parler. Puis elle était réapparu et elle m'avait dit avec sa même nonchalance, cette même indifférence que lorsque je l'avais quitté et qu'elle avait lâché son "ok" avant de tourner les talons : " Je suis enceinte ".

J'avais dix-huit ans, je venais d'entrer à l'université. Cette nouvelle allait bouleverser mes projets. J'avais comme projets en cours : d'ouvrir mon entreprise avec plusieurs amis, de finir mes études... Et là je me retrouvais face à la femme que j'aimais et son ventre qui paraissait un peu plus rond que d'habitude. Bien sûr des questions se posèrent à mon esprit : était-ce réellement mon enfant ? Combien d'autres garçons avait-elle séduite avant moi ? Où était-elle depuis tout ce temps ? Pourquoi revenait-elle maintenant ? Était-il trop tard pour qu'elle s'en débarrasse ? Mes pensées égoïstes s'envolèrent rapidement lorsque je vis sur son visage des larmes. Jamais je ne l'avais vu pleurer... J'ai alors compris que son expression neutre était une façade. Je l'ai prise dans mes bras et je lui ai promis d'assumer cet enfant, notre enfant. Bien sûr je ne m'attendais pas à ce que mon père me renie. De son côté elle était orpheline, son oncle c'était occupé d'elle mais elle avait préféré quitter sa maison dès sa majorité. Elle vivait dans un petit studio.

Neuf mois plus tard je prenais mon fils dans les bras et je l'appelais Samuel comme mon grand-père. J'avais pris une pause dans mes études, on vivait de mes petits boulots à droite à gauche jusqu'à trois mois auparavant. Un de mes amis, un gosse de riche ambitieux voulait créer sa propre entreprise. Il avait bien cinq ans de plus que moi, des diplômes à la pelle et un capital bien fourni. J'ai hésité mais je me suis lancé. On a ouvert cette entreprise à deux. Les choses allaient plutôt bien, il avait des connaissances et notre entreprise se développait petit à petit. Puis un jour je me suis réveillé et j'ai trouvé ce mot sur la table de chevet. Elle était partie, j'étais seul avec mon fils. Cinq ans déjà. L'entreprise a pris de l'ampleur, j'en suis désormais le patron bien que mon associé soit toujours au centre de tout. J'ai une belle maison avec jardin, un adorable petit garçon et un vide dans mon cœur. La vie continue...