"Nous avons fait tout ce que nous avons pu, je suis désolé." C'est ainsi que mon monde s'est effondré, et que ma vie a changé à jamais, il y a un an jour pour jour. Un accident de voiture. Idiot, mais tellement tragique. Ils sont tous morts sur le coup... Tous, sauf elle. Lily, ma plus chère amie depuis l'enfance, qui s'est éteinte quelques heures plus tard à l'hôpital. Ne prenez jamais vos relations pour acquises, jamais. Je me suis écroulée dans le couloir de l'hôpital, incapable ni de crier, ni de pleurer. Je voulais la voir arriver, avec son sourire malicieux et ses yeux marrons pétillants. Qu'elle me dise que j'ai été piégée, comme dans cette émission qu'on avait l'habitude de regarder ensemble les mardis soir. Mais non, elle n'est pas revenue. Et elle ne reviendra jamais.
J'ai grandi entourée de cinq frères, élevée par deux parents aimants et aimés. Lily était comme un membre de la famille. On était inséparables, jusqu'à ce qu'on soit définitivement séparées. Elle était la sœur que je n'avais pas eu, ma confidente, mon jardin secret. Toute ma famille était submergée par le chagrin. Parce qu'on n'avait pas perdu que Lily. On avait perdu James, son fiancé, tout aussi important pour nous. Et leurs deux amis, qui étaient aussi les nôtres.
Me voilà donc, assise au milieu du couloir immaculé de l'hôpital. Le médecin est resté quelques minutes, regardant mes parents et mes frères essayer de me consoler dans la mesure du possible. Et au moment où je l'ai vu tourner les talons, j'ai eu un flash. "SAMMY!", j'ai hurlé de désespoir. Leur petit garçon, . Il n'était pas dans la voiture, il ne pouvait pas y être. Je me suis relevée d'un bond : "Sam, le bébé, où est Sam?" Le médecin m'a regardée, perplexe : "Il n'y avait que quatre personnes dans la voiture..." J'ai failli m'évanouir de soulagement. Leur adorable petit bébé était sain et sauf.
Les flics m'ont prévenus de la prise en charge de Sam par une assistante sociale. Il était placé quelques jours dans une famille, le temps de régler "la paperasse". C'est le notaire qui me l'a annoncé. Personne n'était au courant, moi encore moins. Lily et James me confiaient leur petit garçon. Ça m'a fait un choc, je dois l'avouer. Jamais ils n'avaient mentionné cela. Je veux dire, est-ce qu'ils avaient le droit au moins? Sam n'aurait-il pas dû être élevé par ses grands-parents? C'était la solution la plus logique. Mais ils m'avaient choisi moi, Mary Grace Hawthorne, pour élever leur bébé âgé d'à peine trois mois. Il m'a fallu un temps pour digérer la nouvelle. Et puis, j'ai accepté. Parce qu'ils me faisaient confiance, parce qu'ils m'avaient choisi, cela signifiait qu'ils voulaient que j'élève cet enfant. Pas leurs parents, pas un cousin ou une tante. Moi.
Je n'avais jamais vraiment réfléchi à fonder une famille. A vrai dire, je n'avais jamais été dans une relation assez sérieuse et stable pour parler d'enfants. Et ce n'était pas le cas il y a un an. Je travaillais -et je travaille toujours- en tant qu'infirmière à l'hôpital. Je n'avais pas forcément les moyens d'élever un enfant, encore moins un bébé. J'ai galéré au début. Je n'y connaissais rien aux enfants, alors ma mère m'aidait du mieux qu'elle pouvait. J'enchaînais les heures supplémentaires pour mettre un peu d'argent de côté, et j'avais hérité -si l'on peut dire- de tout ce que Lily et James avaient acheté. Sammy grandissait. Il avait les yeux marrons de sa mère, et chaque fois que je le regardais, j'essayais de retenir mes larmes.
Et puis un soir, lorsque je l'ai posé dans son berceau, que j'ai regardé ses grands yeux marrons et que j'ai déposé un baiser sur son front, il m'a appelée Maman. Je n'ai su ni quoi dire, ni quoi faire. J'ai fondu en larmes, répétant "Je ne suis pas ta maman" pendant au moins vingt minutes. Comment expliquer à un enfant d'à peine un an qu'il ne verrait jamais ses parents, et qu'il allait être élevé par quelqu'un d'autre? Je ne pouvais pas supporter l'idée qu'il m'appelle ainsi, comme si je prenais la place de Lily. C'était trop dur. Pendant quelques jours, j'ai pleuré chaque soir dans mon lit, en essayant d'imaginer ce qu'elle aurait voulu. Et j'ai compris. Elle aurait voulu que je sois la maman de Sammy. Que je l'élève, que je l'aime comme s'il était mon enfant. Alors c'est ce que j'ai fais, c'est ce que je fais toujours un an après. Je l'aime comme s'il était une partie de moi. Parce que c'est ce qu'il est. Ce petit être fragile à qui je devrais un jour expliquer pourquoi il n'a pas de Papa, pourquoi je ne suis pas sa vraie Maman, qui ils étaient et pourquoi ils m'ont choisie. Ce petit bonhomme que jamais mes meilleurs amis ne verront grandir. Ce petit garçon que j'ai promis d'élever malgré mon salaire maigre, dans mon petit appartement initialement supposé n'héberger personne d'autre que moi. Mais désormais, c'est lui et moi. Ce sera toujours lui et moi.